13e Bataillon DE CHASSEURS ALPINS

Un chasseur a Namsos  - De la Savoie a l'Allemagne ...

 

Témoignage de Victor Grille

 J’avais 20 ans lorsque je suis parti au service militaire. Le conseil de révision avait eu lieu à la mairie de Thiers en Mai 1938 et je fus incorporé le 15 Octobre de la même année en même temps que deux autres copains de la région. Le service à ce moment-là durait 2 ans.

J’ai été affecté au 27ème bataillon de Chasseurs Alpins à Annecy puis, au bout de 6 mois environ, j’ai changé de bataillon pour le 13ème à Chambéry.  Nous étions cantonnés à Lanslebourg au-dessus de Modane.

 Puis, il y eut la déclaration de guerre, fin Août 1939. Nous ne sommes pas partis au front immédiatement. J’ai pu bénéficier d’une permission de 8 jours pour Noël 1939. Mes frères n’avaient pas encore été rappelés, la mobilisation se faisant en fonction de l’âge.

De retour à la caserne, nous avons eu un nouvel uniforme, kaki celui-là, un casque, une cartouchière de 20 munitions, j’avais un fusil mitrailleur, un peu plus lourd que le simple fusil, puis nous avons été envoyés au front dans la région de la Forêt Noire, le long de la frontière allemande. Le campement était situé en rase campagne et nous étions tous sur le qui-vive, puisque notre rôle était essentiellement de la surveillance. On ne voyait pas de soldats allemands durant la journée, mais lors des gardes de nuit en pleine forêt, on les entendait taper sur les arbres. Il n’y avait alors aucun échange de coups de feu, juste une observation de part et d’autre.

 Là nous étions une section de 12 soldats qui restions au front 15 jours, alternés ensuite par 15 jours de repos, plus en retrait des lignes de front. Durant ces périodes, nous couchions dans une vieille maison abandonnée en rase campagne, puis de retour au front, nous couchions sous une toile de tente. Nous avions simplement notre capote et une couverture.  Il faisait très froid, tout était gelé, nous étions obligés de casser le pain! Durant les périodes de repos, on nous faisait déplacer des rails, les doigts collaient au métal, nous n’avions pas de gants, sinon ceux fournis par nos familles.

C’est au cours du mois de Février 40, que nous avons reçu un équipement spécial, nous devions partir pour la Finlande. Nous sommes arrivés jusqu’au Havre ; nous étions prêts à embarquer lorsqu'il y eu contre ordre. Nous sommes alors revenus à notre campement de l’Est. Notre équipement " spécial froid " nous fut retiré.  Nous avons alors repris notre surveillance à la frontière.

Un matin, nous avons reçu l’ordre de départ, nous n’avions pas connaissance de la destination. Nous avons voyagé pendant 2 jours en train, dans les wagons à bestiaux, jusqu’à Brest.

Le 18 Avril 1940, j’embarquai à bord du Ville d’Oran, un paquebot qui transportait également le matériel.

Au cours de la traversée, nous avons été bombardés par l’aviation allemande. Nous avons contourné l’Angleterre par le canal St Georges. Une bombe a faussé l’hélice du bateau .

Nous sommes finalement arrivés dans le port de Namsos. Nous avions commencé à déchargé le matériel, mais le bombardement durait toujours. Nous avons dû nous abriter dans la forêt environnante, puis sommes revenus au bateau finir le déchargement : tout le ravitaillement dont un tonneau de rhum!!

 Pendant 2 jours et 2 nuits, nous sommes restés dans la neige, nous efforçant de creuser des trous d’un mètre de profondeur afin de pouvoir nous abriter la nuit. Nous n’avions que notre uniforme, une capote (sorte de manteau) et une toile cirée qui faisait environ 1 mètre sur 1,60 mètre sur laquelle nous nous couchions.

 Les jours suivants, alors que nous cherchions où nous installer, nous sommes rentrés dans une maison abandonnée par ses habitants ; elle était située au bord d’un fjord. Toute la section s’y est installée, nous étions sous les ordres d’un lieutenant.

 Les jours qui suivirent se sont passés à surveiller les alentours. Un jour, nous avons utilisé une barque amarrée tout près de la maison pour nous ravitailler en bois de chauffage. Lorsque nous avons dû revenir, la marée était très forte et notre petite embarcation s’est révélée très dangereuse chargée comme elle l’était. Tant bien que mal, nous avons pu regagner la rive.

Le 5 Mai 1940, nous avons ré-embarqué dans le port de Namsos à bord de l’El Mansour et sommes arrivés en Ecosse à Greenock. Du port nous avons pris un train nous conduisant à Glasgow.

Nous avons eu un très bon accueil, sur le quai de la gare, en signe de bienvenue, un écossais en kilt jouait de la cornemuse et toute la population s’est montrée très chaleureuse avec nous. Nous avons été logés dans une salle communale. On sentait bien que la guerre n’avait pas encore mis une chape de tristesse et de destruction sur cette région. Ce fut une grande détente pour nous, après ce que nous venions de vivre. Les jeunes filles nous prenaient le bras, nous emmenaient chez elles, nous offraient boissons et friandises.

Je me souviens d’un jour, un lundi, je crois, il y a eu un bal des femmes, les hommes n’y avaient pas leur place. Pourtant, ce fut un prêtre écossais qui nous y conduisit. Il pensait sans doute que ce serait notre dernier divertissement avant bien longtemps. Comme il avait raison!

Après ce bref séjour, qui apportait une trêve dans cette période aussi troublée, nous avons dû repartir pour la France.  Dès notre retour dans le port de Brest, nous avons été tout de suite repris dans le grand tourbillon de la guerre. Des camions militaires nous ont pris à bord, mais le front était partout. Les Allemands nous tiraient dessus. Aussi, les camions nous ont-ils laissés dans cette zone. Un obus est tombé juste à côté de moi, j’ai été recouvert de terre. J’ai rampé dans un fossé pendant deux kilomètres environ, il était rempli d’orties mais, je ne les sentais pas. Les chars allemands nous poursuivaient, on était pilonnés de partout.

J’avais soif, un soldat m’a donné sa gourde de rhum. Je n’ai même pas réalisé qu’il s’agissait d’alcool.

C’était la débandade! Nous étions environnés de chars allemands, mais aucun char français. Nous n’avions plus de munitions. Les soldats se battaient à la baïonnette, il y a eu un grand nombre de morts.

Sur un bataillon de 1400 soldats, il en est resté 110, arrivés à St Valéry en Caux. C’est là que les Allemands nous ont pris!

De soldats que nous étions, nous passions à l’état de prisonniers!

Ensuite ce fut une longue marche. Nous sommes allés jusqu’en Hollande à pieds. Nous devions marcher du lever du jour jusqu’à la tombée de la nuit, durant tous ces jours, beaucoup de Noirs ont été tués par les Allemands. On percevait bien de leur part une animosité à leur encontre. Ces soldats morts étaient abandonnés sur le bord des routes.

Parmi nous, il y avait également de nombreux réservistes, dont la plupart avaient déjà plus de 30 ans et qui avaient dû quitter femme et enfants.

Tout au long de notre parcours, il nous est arrivé, poussés par la faim de courir prélever quelques betteraves sur les tas laissés dans les champs. Le soir, notre long cortège s’arrêtait et nous dormions comme nous pouvions. Notre équipement étant réduit au minimum.

Nous sommes arrivés enfin en Hollande, où là, nous avons embarqué dans des péniches qui servaient à transporter le charbon.

Nous étions entassés dans ces embarcations de fortune et nous avons ainsi remonté l’Escaut durant 2 jours jusqu’en Allemagne.

Dès que nous avons débarqué, on nous fit mettre en rang et nous avons repris notre marche. A notre passage, les enfants nous crachaient dessus.

Nous sommes arrivés dans un camp. Là, des groupes de 20 ont été constitués, j'ai eu la chance de me retrouver avec deux amis dont l'un, natif des Contamines, était guide de haute montagne.

On nous a amenés à la campagne, il s'agissait d'une prison civile gardée par des soldats allemands.

Les paysans sont venus choisir chacun, un prisonnier. J'ai été choisi par le père du boulanger du village, qui lui, était soldat en France. Je suis resté un an dans cette famille.

On nous amenait le matin et on revenait nous chercher le soir.

Le père du boulanger tenait un café-épicerie. La boulangerie était à 4 km. Il m'accompagnait dans la carriole, dont j'attelais moi-même le cheval… et je dois dire que je n'étais pas très expert dans tous ces travaux. Une fois, le cheval est parti tout seul, j'ai eu bien du mal à le rattraper.

Une autre fois c'est la mère, forte femme, qui était avec moi dans la carriole. En cours de route, on a perdu une roue. Evidemment tout s'est renversé, la scène était plutôt cocasse, mais j'ai eu droit à une bonne engueulade.

Tous les matins, en arrivant au village, j'avais toujours une tasse de café et une tartine de graisse. Ensuite j'allais à la boulangerie, il y avait deux fours superposés, je me souviens que le four du haut était pour le pain noir. Le soir, je repartais avec la charrette et, lorsque l'épicier me voyait arrivé, il préparait la bouteille de Schnaps : "Eh Victor komm, komm!"

C'était une famille de quatre enfants, trois filles et un garçon. L'aînée des filles était mariée à un officier en poste à Berlin, la seconde était fiancée avec le minotier, la plus jeune était encore célibataire.

Le fils était soldat en France. C'est moi qui ai appris à marcher à sa fille. Un jour, il est venu en permission, j'ai écrit une lettre à mes parents qu'il a postée à Lyon, créant d'ailleurs une fausse joie à ma mère qui a pensé que j'étais en France! En de telles périodes, ce sont des actes qu'on n'oublie pas.

Le jour de Noël, ils m'ont offert un pyjama, des mouchoirs et plusieurs paquets de cigarettes.

Durant toutes les années où j'ai été prisonnier, c'est bien ici où j'ai ressenti le plus d'humanité, de la part de cette famille.

Au cours de cette période, j'ai pourtant cru pouvoir m'évader avec deux autres prisonniers grâce au laitier, qui passait tous les jours et qui avait accepté de nous cacher derrière les tuyaux de son camion à lait. Malheureusement, je ne sais si notre plan a été dévoilé, mais dès le lendemain, nous changions de camp et, bien sûr, il n'a plus été question pour moi de retourner à la boulangerie.

Je suis allé travailler dans une grande ferme où il y avait 7 chevaux, une batteuse, un tracteur, une cinquantaine de veaux, des vaches laitières. Mais le fermier ne faisait pas de sentiment à notre égard et pensait plutôt à exploiter cette main d'œuvre à bon marché. Tout le travail était fait par les prisonniers. Aussi, ne se montrait-on pas forcément conciliants. A la saison des pommes de terre, on était chargés de les semer dans les sillons qu'il avait préparés, on n'hésitait pas à en mettre des pourries voire pas du tout. A la ferme, il y avait deux prisonniers polonais, un jeune avec lequel je m'entendais bien et un plus âgé qui était assez lèche-bottes. Un jour, le fermier nous a envoyés avec le jeune polonais casser du bois et faire des fagots. On n'avait pas mangé, pas de casse-croûte non plus, on a donc décidé de ne pas faire le travail. Evidemment, ce mouvement d'humeur n'a pas plu et j'ai changé de ferme.

Je travaillais 3 jours dans une ferme, 3 jours dans une autre. Les fermiers étaient très âgés.

Quelques temps plus tard, nous avons changé de région, nous sommes partis en train jusque dans la Ruhr. Le camp était aux abords d’une petite ville. Là, j’ai travaillé à la mine pendant 3 ans, de 1942 à 1945.

On descendait munis d’une lampe assez lourde que l’on accrochait autour du cou. Dans les galeries centrales, il y avait l'électricité. Le travail s'effectuait à plat ventre, à l'aide d'un marteau piqueur à air comprimé. Nous enlevions le charbon des parois puis, avec une pelle, nous le mettions dans des petits chariots. Des chevaux tiraient les wagonnets. Ces chevaux étaient remontés tous les 6 mois à la surface.

Ce travail nous déprimait encore plus. Nous avons essayé avec nos faibles moyens d'échapper à cette nouvelle sorte d'enfermement qui nous privait même de la lumière du jour. Volontairement, je me suis fait écraser un doigt en le mettant sur un rail, j'ai évité ainsi pendant un mois de descendre au fond. Pour mon ami savoyard, c'était pire : il ne dormait plus. Son lit était au-dessus du mien et il me demandait sans cesse l'heure afin de savoir combien de temps il lui restait avant de redescendre à la mine. Il se rendait malade en fumant de l'aspirine qu'il pilait .

Les conditions dans le camp étaient meilleures pour les Français que pour les Russes. En fait, ils étaient dans un camp particulier à côté du nôtre. Il y avait des hommes et des femmes qui, elles, triaient le charbon que les hommes avaient remonté. Nous bénéficiions de la douche comme les Allemands, mais les Russes, eux, n'en avaient pas. Ils se lavaient dans leur camp à l'eau froide.

Nous avions également un peu d'argent, que l'on jouait d'ailleurs au poker où je perdais régulièrement.

 

Puis, la mine a été bombardée. Ce jour-là, nous avons mis 2 heures pour remonter du fond. L'ascenseur ne fonctionnait plus et il y avait 80 mètres d'eau dans le puits que l'on empruntait pour remonter.

Ce sont les Anglais qui nous ont libérés. Ils nous ont emmenés dans un camp à Paderborn, puis l'on est revenus en avion jusqu'au Bourget .

J'avais 27 ans .

Des deux amis que j'avais, l'un avait été démobilisé pour raison de santé et a pris le maquis quand il est revenu chez lui. Il est décédé en 1945, il avait 30 ans. Quant au second, il est mort d'un cancer à 56 ans .

 

 

 

Design Mathieu - Jaillet © 2003

Révision : 06 juin 2008

Rechercher dans le site

Plan du site