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Historique du 141e RIA
Le
141e RIA - Régiment de Marseille
Avant
propos
La France
a ete vaincue, non pas tant parce que son armee manquait de chars ou
d'avions, que parce que la Nation ne brulait plus de cette flamme
patriotique qui l'avait, jadis, sauvee qux grandes heures sombres de son
Histoire... Et so dans le desastrre general, certines Divisions, certains
Regiments on conserve leur esprit combattif, c'est parce que leurs Chefs
avaient su leur créer cette ame collective, seule capable de susciter au
sein de la « piétaille» les plus héroïques sacrifices : l'esprit de corps
.
Le 141e R.I.A. était, de ces régiments ... Fils de Provence, de Corse et
du Languedoc,
ses cadres et ses Alpins, unis par le cœur et par l'esprit, ne formaient,
autour de leur Drapeau, qu'un seul bloc puissant, un bloc tout brûlant de
cette flamme patriotique dont ses Colonels, ses Chefs de Bataillon,
l'ardente jeunesse de ses cadres avaient su l'animer ... Du Colonel au
dernier des Alpins, le numéro du Régiment sonnait comme une fanfare de
ralliement... " A moi, 141 !" cri bien souvent entendu durant ces
trente-cinq jours d'incessants combats, ou les sections encerclées
appelaient ainsi les secours des sections de contre-attaque, pendant ces
nuits de retraite ou l'on s'égarait ... Et c'est pourquoi sur le canal de
la Somme, sur le canal du Nord, au Bois-le-Roi, sur la
Loire, l'ennemi n'a jamais pu le chasser des positions qu'il avait mission
de tenir ... Et c'est pourquoi, au jour de l'Armistice, malgré cette
longue Bataille, ou il n'avait point connu de relève, en dépit de
cette retraite profonde, ou l'on marchait la nuit, pour combattre le jour,
le 141e R.I.A. était encore un magnifique régiment, prêt a se battre et a
se sacrifier.
Les
Marseillais peuvent etre fiers de leur Regiment. Comme je suis fier, moi,
de l’avoir conduit au feu pendant cette dure Bataille de France… A tous
ses cadres, a tous ses alpins vont ma reconnaissance
et mon affection… Puissent-ils tous savoir que la joie d'avoir été leur
Chef reste la plus belle récompense qu'ait jamais pu souhaiter mon ame de
Soldat !
La drôle de guerre
Il
faudrait la plume d'un Georges d'Esparbès, ou le stylo d'un Roland
Dorgelès, pour écrire l'héroïque épopée du 141e R.I.A., ce beau Régiment
de Provence, dont la Garnison, avant septembre 1939, était à Marseille.
Ce Régiment, les Marseillais l'avaient acclamé lors de la Revue du 14
Juillet 1939, ils l'avaient applaudi sur la scène de l'Opéra de
Marseille, ou, au bénéfice de sa caisse de secours, il avait donné une
brillante représentation au cours de laquelle il avait illustré son
histoire de merveilleux tableaux vivants.
La Guerre 1939-1940 allait montrer que les Alpins du 141e R.I.A. étaient
dignes de leurs anciens de la Grande Guerre.
A la Mobilisation, le 141e R.I.A. est parti fièrement, stoïquement.
Affecté d'abord à l'Armée des Alpes, il s'est installé en réserve du XVe
Corps d'Armée, dans la région de Grasse, jusqu'en octobre 1939.
Aux avant postes
Sur le Plateau de Forbach
Des ce
moment, c'est un magnifique Régiment auquel son Chef, le Colonel MANHES,
qui le commande depuis deux ans, a su communiquer son ardeur et sa foi ...
Enlevé pour le Nord-est mi-octobre, il est introduit en secteur sur le
plateau de Forbach, en avant de la ligne Maginot. Il demeure là
quarante-cinq jours, en toute première ligne imposant sa volonté a
l’ennemi et interdisant aux patrouilles ennemies l'accès des avant-postes
français.
Les pertes sont légères : c'est là pourtant que tombe le sous-lieutenant
LAVAUD, dont l'héroïsme restera légendaire au Régiment. Fin décembre, le
141e, est relevé et la Division tout entière, la 30e vient au repos dans
la région entre Laon et Soissons ou, pendant les jours d'hiver rigoureux,
elle connaît une sévère mais profitable instruction ... tandis que l'œuvre
de l'Orphelin du Front, de Marseille - Matin, vient, par les dons généreux
de ses lecteurs, améliorer le bien-être de ces Méridionaux plongés dans le
froid, la neige et le brouillard.
C'est alors que le Colonel MANHES ayant été nommé Sous-Chef d'Etat-Major
d'une Armée, le Colonel G. GRANIER prend le commandement du Régiment. II
vient d'exercer a Vence les fonctions de Chef d'Etat-Major auprès du
Général OLRY, commandant le XVe CA. Le jeune et brillant Chef breveté
d’état-major , qui a suivi les cours de l’école des maréchaux , non
seulement intensifie l’instruction de son régiment déjà commencée par son
prédécesseur mais il entretient la flamme qui brûle au cœur de tous les
cadres et de tous les Alpins
Au milieu de mars, avec la 30e D.I. Le 141e R. I. A. entre en secteur aux
avant postes dans la région des Basses- Vosges immédiatement à l'Est de la
région de Bitche ...
La zone des avant postes dans cette région est a l’entrée en Secteur du
141 impunément parcourue par les patrouilles allemandes.
Le 141 R.I.A. se donne comme mission d'interdire à ces patrouilles l'accès
du territoire français et des avant-postes puis ce résultat obtenu, de
marquer son ascendant sur l'ennemi en poussant à son tour des patrouilles
dans les organisations allemandes.
Il s'agit d’organiser le régiment en vue de cette mission. Pour battre
l’estrade,tendre des embuscades, mener à l'ennemi une vie d'enfer, il faut
des Chefs jeunes et enthousiastes, des gars durs au cœur bien accroché.
Le Colonel GRANIER crée alors trois groupes francs, un par Bataillon, dont
il confie respectueusement le commandement au Sous-Lieutenant GERVASY (1er
Bataillon), au Sous-Lieutenant JOOS (2e Bataillon), au Sous-Lieutenant
BATTESTINI (3e Bataillon). Ces trois groupes entraînés par trois Officiers
pleins d'allant, font merveille, tendant de nombreuses embuscades, et
finissant par pénétrer dans les lignes ennemies ... Au bout de trois
semaines, le 141e R. I. A. est maître chez lui ... Quelques pertes aux
barrages de mines, posés par l'ennemi, dont celle, pleurée par tout le
Régiment, du Sous-Lieutenant COSTE, sont hélas la rançon de 1'héroïsme
déployé par les alpins des groupes francs que de nombreuses et brillantes
citations viennent justement récompenser.
Brusquement, le 12 avril, le régiment apprend que d'autres destinées
l'attendent. Le nom de Norvège est sur toutes les lèvres et les
Alpins sont joyeux de courir sur les traces de leur ancêtre, le Phocéen
.Pythéas, l'un des premiers navigateurs qui toucha la Norvège. Le régiment
se prépare et se transforme dans la région de Brest pour son futur rôle
dans le Septentrion. Il entre alors dans la composition d'une nouvelle
Division, la 3e Division Légère d'Infanterie, commandée par un chef
valeureux, le Général de Brigade DUCHEMIN. Mais les rêves d'aventures
devaient bientôt s'évanouir. En effet, le 14 mai, le Régiment apprenait
qu'il s'embarquait, par voie ferrée, à destination du Nord Est, et le 16,
des trains militaires emportaient le 141e R.I.A. vers la Grande Bagarre.
Mai -
Juin 1940
Sur la Somme
Le 17
mai, le 141e R.I.A.. débarquait en partie à Plessis-Belleville, pour
défendre Paris, puis, dans la nuit du 17 au 18, il était enlevé par
camions automobiles et jeté sur le canal de la Somme, avec mission de
tenir les ponts de Ham et d'interdire à l'ennemi le franchissement du
canal de la Somme.
« Un quart d'heure après son arrivée, le 2e Bataillon installé devant les
deux ponts route de Ham livrait bataille et empêchait l'ennemi de s'en
emparer.
« Le train avait été poussé jusqu'à la Somme.
« Le même jour, le 3e Bataillon débarquait à Chaulnes et était l'objet
d'un sévère bombardement de l'aviation allemande à son débarquement : 4
officiers blessés, 6 alpins tués, 32 alpins blessés.
« Le premier Bataillon venait à son tour s'installer sur le canal de la
Somme, à la droite du 2e Bataillon, tandis que le 3e Bataillon, après son
débarquement, mis à la disposition d'un régiment de la Division, reprenait
le village de Voyennes à l'ennemi... »
Ce ne sont plus maintenant qu'attaques par un ennemi mordant et
contre-attaques d'Alpins décidés, qui font subir des pertes sévères à
l'ennemi.
Le 141 n'abandonne pas une parcelle des positions qui lui ont été confiées
... Le 5 juin, les Allemands lancent la puissante offensive qui va amener
le repli général de l'aile gauche française ... Sur le front du Régiment,
l'ennemi passe le canal à l'est de Ham, à la liaison entre le 140e R. I.
A., second Régiment d'infanterie de la 3e D. L. I, et le 141e R. I. A. De
vigoureuses contre-attaques montées par des Unités des deux Régiments, qui
rivalisent d'ardeur, rejettent l'ennemi dans le Canal.
Le 6 juin au soir, dans le secteur de la 3e D. L. I., l'adversaire ne
conserve pas un pouce de terrain au sud du canal de la Somme, malgré les
lourds sacrifices qu'il a consentis ... Au 141e R.I.A., les pertes, pour
être légères, n'en sont pas moins douloureuses : c'est dans la journée du
5 juin que tombe héroïquement, au cours d'une contre-attaque victorieuse,
menée par sa Compagnie, l'aspirant Pierre BONNEL, dont la mémoire restera
chère au cœur de tous les alpins du Régiment.
Mais, a la gauche de la 1e D. L. I, la 29e Division d'Infanterie
Alpine, attaquée avec une violence inouïe par une masse considérable de
chars, est taillée en pièces et submergée après une magnifique défense. Et
le 6 juin, à 20 h 45, le 141e reçoit l'ordre de se replier vers le Bois de
l'Hôpital. C'est la rage au cœur qu'il abandonne les rives du canal de la
Somme et gagne les nouvelles positions qui lui ont été indiquées à la
ferme de Houvrel ; il connaît là la plus dure journée de la Bataille. Sa
mission était de résister sans esprit de recul. Attaqué à 10 heures par
des forces, évaluées à deux Régiments, appuyées par des chars et une
artillerie importante, soutenues par une aviation agressive, le 141e R. I.
A., jusqu'à 15 heures, n'abandonne pas un pouce de terrain ... Mais les
Allemands s'infiltrent de tous côtés ; le Régiment est menacé d'être
encerclé.
Le Colonel GRANIER qui avait reçu toute liberté d'action de la part du
Commandement, se décide alors à un premier repli, sur une position à 5
kilomètres en arrière, (le repli s'effectue à 16 heures, comme à la
manœuvre, dans l'ordre le plus complet, sans une perte). Attaqué de
nouveau vers 17 heures, au trois quarts entouré, le 141e se maintient sur
ses nouveaux emplacements jusqu'à 22 heures, heure à laquelle le Colonel
ordonne un nouveau repli derrière le canal du Nord, repli qui s'effectue
au milieu des villages en flamme et d'innombrables cadavres de chevaux
d'artillerie, massacrés par l'aviation. Ce repli, le Colonel le fait
couvrir par le Groupe de Reconnaissance Divisionnaire et quelques sections
du Régiment, qui restent en place jusqu'au 8 juin, 3 heures du
matin, et sont obligés de rompre le cercle de fer et de feu qui les
entoure .. La Section d'éclaireurs motocyclistes, commandée par un jeune
instituteur, qui fut un splendide officier, le Sous-Lieutenant LANZA, est
complètement entourée .. , LANZA met alors ses side-cars en colonne par
deux sur la route, et se jette en avant à corps perdu, de toute vitesse de
ses machines, faisant feu de tous ses fusils mitrailleurs, qui crachent la
mort autour d'eux ... Rien n'arrête cet élan héroïque vers la liberté ou
la mort; tous les obstacles sont franchis et la section moto rejoint le
Régiment, le matin du 8 juin, dans la région de Thiescourt.
Alors commence l'interminable retraite de 400 kilomètres,qui conduit les
fils de Marseille, de Compiègne à la région S.-O. de Limoges. Le 141e
Régiment se bat à Crépy-en-Valois et au Bois-le-Roi. Il se bat sur la
Marne, où il fait sauter le pont d'Esbly. Il se bat sur la Loire, où
pendant trois jours, malgré de violents bombardements d'Artillerie et d'
Aviation, malgré les envois de parlementaires allemands, il interdit à
Sully-sur-Loire le passage du fleuve aux colonnes ennemies qui attaquent
en forces ... Il se bat sur le Cher... Dans sa folle chevauchée, partout,
et toujours, il fait front et impose à l'Allemand son ascendant.
On recule parce que c'est l'ordre
Et
lorsque le 25 juin, l'Armistice le trouve sur la voie ferrée de Chalus à
Nexon, le Colonel peut dire à ses hommes : « Le 141 ,. garde la fierté de
n'avoir jamais été battu par l'ennemi. »
Quand, à la veille de venir prendre à Marseille le poste de Chef
d'Etat-Major de la XVe Région auquel il vient d'être nommé, le Colonel
GRANIER, le cœur serré passe son Régiment en revue ... c'est un beau
Régiment de vainqueurs à l'œil fier, à l'allure dégagée qui défile devant
lui, non un troupeau de vaincus, un Régiment toujours prêt à se battre, et
qui, les larmes aux yeux, a déposé les armes.
Vingt-sept Officiers, près de cinq cents Alpins avaient été la rançon de
son héroïsme ! .. C'est en songeant au
sacrifice
de ces héros que, le 29 juin, au Hameau des Places, au cours d'une messe
en plein air, présidée par Mgr RASTOUlL, évêque de Limoges, ancien prêtre
du diocèse de Marseille, et ex-alpin du 141e R. I. A., Officiers,
Sous-Officiers et Alpins s'inclinaient bien bas devant leurs camarades
tombés et se juraient à eux-mêmes de travailler à refaire une France,
forte, unie et prospère ...
Telle est, brièvement racontée, l'histoire héroïque du 141 e R. I. A., au
cours de ces trente-sept jours d'incessants combats. Raconter les
prouesses individuelles, les actes d'héroïsme des groupes de combat ou des
sections exigerait un volume ... Toutefois une journée restera pour le
Régiment un journée de gloire sans tache, celle du 24 Mai.., Nous la
retracerons d'après un rapport qu'a bien voulu nous communiquer le Colonel
GRANIER :
Journee du 24 Mai 1940
Aux
bords du Canal de la Somme, la nuit du 20 au 21 mai avait été calme :
coups de feu isolés, quelques patrouilles, quand a 03h 45, le 24 mai, une
fusillade nourrie provenant des lisières Sud de Pithon se déclenche
soudain sur le Pont du Chemin de Fer et sur quelques centaines de mètres,
a l'est et a l'ouest du Pont, rasant les rives du Canal. Profitant de
cette neutralisation et aussi du brouillard intense qui couvre la ligne du
Canal et de la Somme, l'ennemi réussit a pousser, au delà du pont du
Chemin de fer quelques éléments légers ..
Tandis qu'à l'est du S.-Secteur se déroule cette action, brusquement, a
l'ouest, à 4 h 45 sur le front du 2e Bataillon, vers la Sucrerie
d'Eppeville, sans autre préparation que quelques tirs d'artillerie sur la
Sucrerie, effectués de 4 h a 4 h. 45. L'Infanterie ennemie, passant le
canal a l'aide de barques pneumatiques, effectue un débouché massif et
brutal par une double manœuvre de débordement.
La manoeuvre ennemie apparaît très claire : franchir le canal a l'est et à
l'ouest de Ham, en vue d'enlever la ville et créer ainsi une tête de pont,
qui permettra de mettre en place sur le canal des moyens de franchissement
pour le passage des engins blindés ennemis. Ainsi, a 1 h. 50, le régiment
est attaqué a l'est et a l'ouest de son front...
Dans son
Ordre de défense n 603/C en date du 22 mai (1), le Colonel a affirme
ainsi ses intentions :
Tenir
solidement et sans esprit de recul la rive S. du Canal de la Somme, et
notamment les points de passage obligés :
les deux ponts route de Ham;
le pont du Chemin de fer 1 km. est de Ham, en vue
d'interdire de façon absolue le franchissement du Canal aux engins blindés
ennemis ;
«
Contre-attaquer sans délai tout élément ennemi ayant franchi le Canal. »
C'est sous le signe de ces intentions que va se dérouler la bataille du 24
mai. Cette bataille comporte deux actions concomitantes dans le temps,
mais sans liaison effective dans l'espace.
• Action à l'Est de Ham, sur le front du Ie/141e (Quartier AUBIGNY).
• Action à l'Ouest de Ham, sur le font du IIe/141e (Quartier HAM).
Ces deux actions seront exposées successivement.
Action
à l'Est de Ham
Grace à
la neutralisation opérée par la puissante base de feux allemands, entrée
en action à 3 h. 45, grâce aussi à un brouillard épais, qui couvre tout le
paysage, et malgré les feux de toutes les armes automatiques de la défense
(feux non ajustés en raison du brouillard), quelques éléments ennemis
particulièrement audacieux s'infiltrent au Sud du Canal, surtout à l'Ouest
du Pont du Chemin de fer et, par des feux nourris, prennent à revers la
Section d'Eclaireurs Skieurs du Ie/j141e, ainsi que la Section de l'Adjudant-Chef
HUGON; ces deux Sections, qui défendaient le Pont du ,Chemin de fer sont
obligées de se replier légèrement vers l'Ouest (S.-E.-S.) et à l'Est
(Section HUGON).
L'ennemi se précipite alors en colonne par trois sur le Pont du Chemin de
fer, aux cris de : «"Heil Hitler! Rendez-vous ! ... ». Accueillie par le
feu des armes automatiques, cette première ruée se disloque; mais les
Allemands insistent, on entend à l'entrée Nord du Pont les commandements
des officiers ; les Allemands reviennent en masse sur le Pont qu'ils
tentent encore de franchir. Les feux des armes automatiques et les tirs
d'arrêt très précis effectués sur le Pont et ses accès Nord par la 8e
Batterie (Capitaine BIRKEL) du 4e Groupe autonome du 10e R. A. C.
(Commandant PINELLO arrêtent net cette deuxième ruée.
A 6 h. 30, la situation sur le front du Ier/141e est la suivante : la
valeur d'une Compagnie allemande a franchi le Canal; mais le gros des
forces allemandes n'a pu suivre. Un certain flottement apparaît chez
l'ennemi.
Il faut exploiter cette situation.
Maintenant sur tout le front du Ie/141e, et notamment sur le Pont du
Chemin de fer, des tirs lents, mais continus, dans le but de couper la
retraite aux éléments ennemis passés au Sud du Canal, et d'interdire à
l'ennemi le passage de moyens plus puissants, le Colonel donne l'ordre au
Commandant du Ier/141e de contre-attaquer, en vue de rejeter l'ennemi dans
le Canal et de réoccuper sur tout son front la rive Sud du Canal... Il met
à cet effet à la disposition du 1er/141e une Section de Chars F. T.
(Lieutenant CHAMBON), jusque là en réserve de S/Secteur, qu'il dirige dès
6 h. 30 de Brouchy sur Aubigny.
La contre-attaque se déclenche à 8 h. 45.
Elle est conduite par le Capitaine CHAMPEAUX, Adjudant-Major du Ier/141e
disposant :
-~ de deux Sections F. V. (Section BOUHELY et Section LARROT) ;
- d'une Section de trois chars F. T. (Section CHAMBON).
Elle est appuyée par les feux:
• de deux Batteries du 4e Groupe autonome;
• du Groupement d'action d'ensemble de la D.I.
• des Sections d'Infanterie encadrantes ;
• des mitrailleuses et mortiers de 81 du Bataillon.
A 8 H 45, la Section de Chars débouche du passage en dessus de la voie
ferrée avec un cran qui fait l'admiration des fantassins. Les Sections
BOURELY et LABROT suivent... Elle bouscule l'ennemi, qui est parvenu entre
l'usine, le chemin de fer et le Canal et livre le terrain aux Sections
BOURELY et LABROT, qui viennent occuper la rive Sud du Canal, à l'est et à
l'ouest du Pont, tandis que la section d'éclaireurs-skieurs et la Section
HUGON viennent, elles aussi reprendre leurs emplacements ... Puis,
achevant sa mission; la Section de Chars, après être restée embossée
quelques minutes à la sortie S. du Pont, qu'elle enfile de ses feux, se
porte sur la partie Ouest de la voie ferrée pour nettoyer la ferme du
Vert-Galant, les vergers au N.-O. et le terrain entre la terrasse et le
Canal... A 9 h 3O, sa mission brillamment accomplie, elle gagne vers
l'arrière son point de ralliement.
Ainsi, à 9 h.3O, grâce au travail remarquable de la Section de Chars
CHAMBON, grâce aussi aux tirs précis et nourris de l'Artillerie d'appui
direct, et notamment de la 8e Batterie (Capitaine RIHKEL) du 4e Groupe,
qui ne cesse son tir qu'après avoir été à peu près anéantie par la
contre-batterie ennemie, le 1/141 avait réussi à reconquérir la totalité
de ses positions, ramenant 10 prisonniers, s'emparant d'un butin important
(mitrailleuses, mortiers, armes, équipements), reprenant une pièce de 75
anti-chars tombée aux mains de l'ennemi, et infligeant des pertes sévères
à l'adversaire ...
Le reste de la journée sur le front du I/141, n'est marqué que par des
tirs violents et rageurs d'artillerie, qui causent peu de pertes au
Bataillon.
Action
à l' ouest de Ham
Le
dispositif du II/141 comporte le 24 mai à 4 h, de l'Ouest à l'Est:
En ligne sur le Canal:
• une Compagnie de Tirailleurs, fournie par la :31e Cie du G.I. 93 bis,
assurant la liaison avec le 140e ;
• la 7e Compagnie;
• la 5e Compagnie;
• la 6e Compagnie (liaison à l'Est avec le 1e/141).
En soutien :
• sur la ligne de chemin de fer a l'Ouest et les debouchés Sud de Ham
(au Sud et à l’Est) une Section de chacune de ces Compagnies.
La ligne d'arrêt, définie par la côte 74 (800 m. N. de l'église de
Muille-Villette) et le village de Verlaines, n'est pas occupée, faute
d'effectifs disponibles. Elle doit l'être dès que le 3e Bataillon du 141e
prêté au 140e R. I. A. depuis son débarquement à Chaulnes, sera remis à la
disposition du Colonel.
.Le dispositif du IIe/141 est donc relativement filiforme et sans
profondeur.
Le
24 mai, à 4 h 50, sans autre préparation que quelques tirs d'artillerie
sur la sucrerie d'Eppeville, l'ennemi débouche brutalement et en masse de
la rive Nord du canal
Son débouché est couvert par des nuages de fumée qui épaississent encore
le brouillard existant, appuyé par le feu d'armes automatiques que
l'ennemi a installées, dans la nuit, sur la rive Nord du canal.
Les Allemands franchissent la Somme, en utilisant de nombreux radeaux et
barques pneumatiques. Le feu de nos armes automatiques causant de sérieux
ravages parmi les Allemands entassés dans ces radeaux et ces barques,
l'ennemi amène sur la rive Nord de la Somme des engins blindés, qui
ouvrent le feu.
La Somme franchie, les Allemands entreprennent le passage du canal dans
les mêmes conditions.
Les tirs d'arrêt de l'appui direct aussitôt déclenchés, et le feu des F.
M. et mitrailleuses exterminent le chargement humain de plusieurs radeaux
...
Entre temps, les sections de soutien de la 5e Compagnie (passage à niveau
de Ham) et de la 6e Compagnie (Vert- Galant) sont mises à la disposition
du Commandant de la 7e Compagnie.
Mais l'ennemi attaque avec de gros effectifs et la vague humaine est sans
cesse renouvelée.
Vers 6 h 30, l'ennemi obtient à la Sucrerie d'Eppeville un premier
succès. La configuration de la rive Sud du canal (mur en ciment et pont du
canal) entre la sucrerie et la passerelle de la Ferme Saint-Sulpice, crée
un trou entre la section Maillié (passerelle) el. la section Vigeox
(sucrerie) ... A force d'effectifs, l'ennemi réussit à franchir le canal
dans ce trou .. Son élan est brisé à la voie ferrée par les sections de
renfort... Mais la section Maillié, isolée, et ayant tiré toutes ses
munitions, doit se replier, le Lieutenant MAILLIÉ se fait tuer sur place
avec quelques alpins.
A cet instant (6 h 45), la situation est grave; l'ennemi a réussi à créer
un trou sur la rive Sud du canal, il n'est plus contenu sur la voie ferrée
que par deux Sections, déjà diminuées par les pertes.
Dès 5 h 30, le Colonel a rendu compte au Général de Division de la
situation, il a insisté, en particulier, sur l'absence de réserves
derrière le IIe/141e et demandé qu'on lui rende au plus tôt le IIIe/141e.
A 6 heures, la Division a fait connaître que sont mis à la disposition du
141e R. I. A. :
• une nouvelle section de chars F. T.
• l'escadron moto du G. R. D.
Le Colonel demande que ces unités soient dirigées d'urgence sur
Muille-Villette (P. C. du IIe/141).
Il fait connaître ces intentions au Commandant du IIe/141.
La Section de chars sera à la disposition du IIe/141. Le Colonel se
réserve l'Escadron moto du G. R. D. qu'il installera sur la ligne d'arrêt
à Verlaines, derrière la gauche du IIe'/141.
Entre temps, l'ennemi a continué son effort, à 7 h 35, il a enlevé la
Sucrerie d'Eppeville : le trou s'élargit vers l'Est.
Le Colonel demande à la Division de hâter l'arrivée de l'Escadron moto du
G. R. D.
Pour retarder l'avance allemande, il déclenche à 7 h 42, un tir massif de
la totalité du groupe d'appui direct et des deux groupes de l'action
d'ensemble sur la Sucrerie. Ce tir ralentit, pour un instant l'activité
ennemie dans la région de ]a Sucrerie.
A 7 h 43, un compte rendu du 2e Bataillon fait connaître que la Compagnie
des tirailleurs à gauche vient d'être enfoncée; la liaison avec le 140e
est perdue ... le trou s'élargit vers l'Ouest.
A 7 h 45, le Colonel dirige sur le IIe/141 la Section
d'éclaireurs-motocyclistes du Régiment et la met à sa disposition.
A 7 h 50, de nouveaux renforts sont demandés à la Division.
A 8 h
05, la Division fait connaître qu'une Compagnie du IIIe/141 et une S.M.
transportées par camions, sont en route sur Muille-Villette. Délai
probable d'arrivée : 1 heure.
A 8 h 17, l'Officier de liaison du G. R. D. arrive au P. C. du Colonel. Le
Colonel indique à cet Officier la mission qu'il réserve à l'Escadron moto
; l'Officier repart avec le Commandant BILLOT, Chef de l'E. M. du 141e qui
a mission de mettre en place l'Escadron moto du G. R. sur ligne d'arrêt
(Verlaines).
A 8 h 20, le IIe/141 fait connaître sa situation, l'ennemi est maître de
toute la rive Sud du canal, depuis la gauche du IIe/141, jusqu'à la
Sucrerie d'Eppeville (incluse). Le IIe/141 tient la route Ham-Nesle au Sud
du canal devant laquelle l'ennemi paraît pour 1 'instant arrêté à la suite
de très fortes pertes qu'il a subies.
A 8 h 30, le Colonel donne ses instructions au Commandant du IIe/141 :
d'abord arrêter l'ennemi, soit sur la route Ham-Nesles, soit sur la ligue
d'arrêt Verlaine-Côte 74.
A cet effet, utiliser l'Escadron moto du G. R. que le Colonel passe au
IIe/141.
Puis, le colmatage assuré, contre-attaquer au plus tôt, dès que la
Compagnie du IIIe/141 sera à pied d'œuvre, ainsi que la Section de chars,
en vue de rejeter l'ennemi dans le canal.
A 9 heures, la Section de chars arrive à .Muille-Vîllette.
A 9 h30, l'Escadron moto du G. R parvient à Verlaines.
A partir de 9 h 45, l'ennemi renouvelle ses tentatives d'élargir la poche
avec une ténacité qui ne se dément pas une seconde ; peu à peu, par
d'incessantes petites actions de détail, que ni les feux de l'Infanterie,
ni les tirs de l'Artillerie n'arrivent à enrayer les Allemands
s'infiltrent entre la droite du 140e, qui s'est légèrement repliée, et
l'Escadron moto du G. R D. (Verlaines).
I1 est 12 h 30 et la Compagnie du IIIe/141 annoncée n'est toujours pas
arrivée.
La situation s'aggravant, le Colonel prescrit au IIe/141 R.I.A. de
contre-attaquer avec la Section de chars et l'Escadron moto du G. R. D. en
direction du coude du canal de la Somme. La Compagnie du IIIe/141 dont la
présence a Esmery-Hallon (3 kilomètres de Verlaines) est enfin signalée,
remplacera !'Escadron moto du G. R. D. dans l'occupation de la ligne
d'arrêt (VerIaines).
La contre-attaque débouchera il 14 h 15, les éléments de droite du 140e
appuieront l'action du IIe/141 par le feu et le mouvement. La 7e
Compagnie, qui tient Eppeville, appuiera la contre-attaque de ses feux.
Le groupe d'appui direct tirera de 14 h. à 14 h 15, entre le tortillard et
le canal ; à 14 h. 15, il reportera ses feux sur le canal, entre le coude
et Eppeville.
Le groupement d'action d'ensemble tirera, pendant ce temps, sur la
Sucrerie et les rives du canal au Nord de la Sucrerie.
A 14 h 15, la contre-attaque débouche dans les conditions prévues.
A 14 h 55, la rive Sud du Canal est reprise, toutefois la Sucrerie reste
occupée par l’ennemi.
De 14 h 55 a 17 heures, le Ie/141 procède au nettoyage de la Sucrerie.
A 18 h 30. le IIe /141 a reconquis la totalité de sa position ; la liaison
est rétablie au coude du canal avec le 140e.
Apres l'armistice
La
journée du 24 Mai se termine donc glorieusement pour le Régiment.
L'attaque ennemie, menée, ainsi que les renseignements donnés par les
prisonniers le démontrent, par un Régiment allemand tout entier, a
complètement échoué.
Le 141e R.I.A. a causé à l'ennemi des pertes très lourdes.
Il a fait 47 prisonniers et pris un nombreux matériel.
Ses
propres pertes sont légères :
• 1 officier tué: Lieutenant MAILLIE (7e Compagnie) ; 13 alpins tués ;
• 1 officier blessé : Sous-Lieutenant GERVASY (lere Compagnie ;
• 24 alpins blessés ;
• 24 alpins disparus, dont il sera vérifié, quelques jours plus tard, que
7 ont été tués.
Ces résultats ont été dues, sans aucun doute, à la valeur des Officiers,
Sous-Officiers et alpins du Régiment, mais aussi
:
• à l'excellence du fonctionnement des transmissions qui a permis au
Colonel d'être constamment renseigné, et, par suite, de prendre ses
décisions en toute connaissance de cause ;
• à l'héroïsme des Batteries du 4e Groupe autonome d'Artillerie Coloniale,
dont les batteries, contre-battues par des tirs précis et contrôlés par
avions, ont cependant continué à tirer malgré de lourdes pertes;
• à l'action efficace des Sections de chars, menées par des chefs résolus
et pleins de cran.
Le Communiqué allemand du 25 mai disait: « Sur la Somme, nos troupes ont
subi un échec, s'étant heurtées
a des troupes françaises d'élite »,
Il est impossible de citer au Livre d'Or du Régiment tous les alpins qui
comptaient au 141e R.I.A. Mais, si l'on songe qu'un Régiment vaut ce que
valent ses cadres, il est d'une élémentaire justice de r'appeler les noms
des officiers qui ont eu l'honneur et la joie de mener au feu d'aussi
braves gens.
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