Le bataillon Berthier

 

Le Commandant CALLOUD, chef départemental FFI du Rhone, prévint de son inspection pour le 25 Septembre.

Pour l'heure fixée, le Bataillon avait été rassemblé en ligne de sections par trois sur le terrain de sports de Sathonay. Accompagné des Colonels DARCIEL et CHEVALIER, le chef de bataillon CALLOUD passa sur le front des troupes.

Ils furent étonnés de l'excellente présentation des unités, du maniement d'armes fort convenable, et du défilé digne d'une bonne troupe d'active. Il faut dire que chacun avait fait l'impossible pour que l'impression soit bonne et que le Bataillon soit remarqué.

Le résultat dépassa les espérances, car il fut d'emblée considéré comme prêt, ce qui était l'essentiel, et bon pour le combat.

A vrai dire, l'inspection avait été faite un peu superficiellement. L'uniformité de la tenue était réalisée par la coiffure, grâce au béret basque national, et par les regards clairs et enthousiastes placés immédiatement au dessous. Mais elle s'arrêtait là, et il valait mieux fermer pudiquement les yeux sur le reste.

L'habillement, l'armement et l'équipement étaient hétéroclites. presque tout le monde avait une capote kaki,

mais la 4ème était en bleu chasseur. Quelques hommes avaient des cartouchières de cuir françaises ou allemandes, d'autres en portaient une en sautoir, en tissu léger, d'origine anglaise. Les moins favorisés avaient leurs cartouches dans leurs poches.

Chacun avait une arme, fusil français, anglais ou allemand, mitraillette Sten ou Thomson, F.M. 24-29, ou Brenn ou L.E.G. Quelques grenades à manches ornaient les ceinturons. Il y avait peu d'armes lourdes: cinq mitrailleuses Hotchkiss dont une, provenant d'un fort avait encore son enveloppe de bronze, et un mortier de 81 français. Un mortier de 120 américain avait été récupéré Dieu sait ou, il ne lui manquait que le tube, mais l'espoir n'était pas perdu d'en trouver ou d'en piquer un quelque part.

A cet arsenal devaits'ajouter le "rabiot" d'armes dont les seuls initiés connaissaient le nombre. Il servit bien lorsqu'il fallut remplacer celles qui furent mises hors de service.

Les munitions pour tous ces engins existaient en quantité impressionnante, ainsi que l'appareillage artificier nécessaire pour faire sauter proprement, comme il fut fait, pas mal de choses, y compris la tête des imprudents et nos jeunes l'étaient tous.

L'inspection n'avait porté que sur les troupes et sur son armement léger. Or, chacun sait que pour vivre et combattre il est nécessaire d'avoir autre chose, et précisément ce qui, en général n'est pas très beau à voir.

Dans une unité régulière, les camions, les camionnettes et les impedimenta sont tous d'un même type, et l'ensemble, malgré son encombrement conserve une allure correcte et ordonnée. Il n'en était pas de même dans notre Bataillon FFI, et une revue un peu détaillée aurait révélé la diversité et la fantaisie de ses moyens de transport et de ses impedimenta.

Si les lyonnais ont inventé le mot "bidule", c'est qu'il manquait à la langue française, pourtant si riche, un maitre-mot capable de désigner d'un seul coup ce qui nécessite normalement une petite page d'explication.

Il suffit d'une intonation particulière pour étendre sa signification à tout ce qU'on veut, pourvu que la chose soit dro1e, intéressante ou exceptionnelle.

Un camion, si possible gazo, mal bâche, chargé à la diable qui se paumoie sur la route dans les sursauts d'agonie de son moteur est un bidule.

Devant une entreprise difficile, les hommes, avant de s'y lancer à corps perdu se croisent les bras, hochent la tête, et disent pour s'encourager: "Ca va être un drole de bidule."

Après un coup dur, quand on se raconte l'histoire, le mot de la fin est toujours le même: "C'était un de ces bidules!"

Mais lorsqu'il se trouve qu'une chose est parfaite, tourne rond, et que tout le monde est satisfait, c'est aussi un beau bidule.

Le Bataillon BERTHIER, en gros et en détail était un bidule. Mais ces trois syllabes, dont une à demi muette, tombaient à pic pour désigner sous tous ses aspects, et sans erreur possible la CHR. D'ailleurs, et pour que nul n'en ignore, le premier de ses camions s'appelait "le Bidulard".

Tout biduIe qu'elle était, la CHR devait remplir , son Office, et ce ne fut pas la moins valeureuse des compagnies

Considéré comme fin prêt, l'ordre arrivait le lendemain pour embarquer le 27. Cela n'avait pas traîné, et

il fallait vraiment qu'on ait besoin d'effectifs pour nous expédier aussi vite. Nous n'en demandions pas tant, et le délai parut même un peu court pour mettre la derniere main au bidule. A la demande, le départ fut reporté au 30, et le chef de bataillon partit de suite en reconnaissance •

Napoléon, a-t-on dit, instruisait ses soldats en marchant. La chose est fort possible car les recrues de Brest ou de Perpignan avaient quelques étapes à faire pour se rendre en Allemagne, en Autriche ou en Russie. Elles devaient avoir le temps, en marchant ou au bivouac, d'écouter les anciens leur livrer les secrets de la charge du fusil en douze temps, et la manière d'attaquer sur huit rangs bien serrés. Cela ne devait pas être très compliqué. Il n'était pas question pour le Bataillon BERTHIER de procéder de même puisqu'il partait par le chemin de fer. Aussi devra-t-il poursuivre son instruction du combat avec le meilleur plastron qui puisse exister: l'ennemi lui-meme, et pour cet office, on pourra lui faire confiance, il saura s'en charger

Au loin on entend une musique rythmer une marche militaire. C'est le philharmonique de Sathonay qui, après s'être tue pendant de longs mois, fait scander le pas au Bataillon BERTHIER qui part vers son destin.

Par Caluire, la Croix-Rousse et Lyon, il gagne la gare de la Guillotière où il doit s'embarquer. Sur son passage, la foule se rassemble, le salue, l'encourage et lui souhaite bonne chance.

Nous allons le suivre jusqu'à sa mort, car il ne vivra pas vieux, cent jours à peine, mais qui seront bien remplis.

 

 

 

 

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Révision : 06 juin 2008

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