Historique du tir sur le Chaberton du 21 Juin 1940

 

 

Ce récit a été écrit par la lieutenant Miguet commandant les tirs sur le Chaberton a la cessation des hostilités. 

C'est le 21 Juin au matin que de mon observatoire situe sur les pentes de l'Infernet, je constatais l'entrée en action du Chaberton. Cette activite est d'ailleurs signalee par le Janus qui, non seulement, voit les départs des coups mais reçoit des projectiles.

 
  Le commandement alerte me demande aussitôt de tiere seulement le Chaberton est dans la brume. Les mortiers de 280 n'ont jamais tires. Ce materiel précis mais dont on ne connait pas la derivation ne peut faire que des tirs observes.  Impossible de tirer dans ces conditions sans observation et sans reglage prealable. Le commandement prevenu de ces difficultes me demand, pour tirer, de profiter de la première éclaircie. Cette éclaircie se produit vers 10 Heures. J'alerte aussitôt la section de Poet Morand, dont les pelotons n'attendent que le commandement "FEU" pour tirer.

 
  J'éprouve une certaine émotion au départ du premier coup. Mais, j'entends le bruit sourd du départ et 60 seconds après, j'observe un superbe éclatement sur les pentes du Chaberton. Le premier coup est tombe ou je l'attendais. Désormais, il ne reste plus qu'a les déplacer et a les amener au bon endroit. Les 2 eme et 3 eme coup s'approchent de plus en plus des tourelles. Malheureusement, la brume revient et je dois attendre 15H30 pour reprendre le tir. Enfin je revois. Il n'y a plus une seconde a perdre. Les 2 sections de tir, celle de Poet Morand et celle de l'Eyrette entrent immédiatement en jeu. Les éclatement apparaissent, un petit nombre sur le glacis, le plus grand nombre sur la plateforme supérieure du Chaberton au voisinage des tourelles.  Un observatoire auquel je suis relie  m'indique des coups longs, qui, pour mon observatoire sont invisibles. D'autre par le Janus avec qui je suis en liaison m'indique les résultat de ses observations. Aux chiffres brutaux : A droite : Tant, Site plus haut s'ajoutent  les appréciations plus concrètes : "la 5eme tourelle en prend un bon coup. Je peux juger ainsi que mon observateur voit les resultats des premiers tirs.

Mortiers au Poet Morand dans le Miroir du 29 Octobre 1939

 

 
  Au milieu des eclatements des 280, on apercoit toujours la lueur des departs des 149 italiens. Les 280 seraient ils donc impuissants ? J'ameliore mes elements deja tres approches et je multiplie les coups. Alors c'est un veritable duel qui selivre entre les 2 materiels, un duel poignant et grandiose. Manifestement, le Chaberton n'a pas de repere cet adversaire qui l'inquiete, car il tire sur le Fort des Tetes. Ce duel va devenir de plus en plus acharne.

A 17H30, un eclatement apparait au niveau de la 3eme tourelle et provoque une immense fumee d'une hauteur demesuree qui apparait malgre la brume et persiste une vingtaine de secondes. Il s'agit sans doute d'une d'une explosion de munitions.

 
  Les tourelles redoublent d'activite, elles tirent a la cadence maxima. Les artilleurs ont ils l'impression que l'heure de son agonie approche et veulent ils profiter des derniers qui leur restent. Malgre les eclatements de plein fouet et dans des conditions certainement tres dures, le Chaberton tire toujours. Mais, a 18 heures, nouveau coup, celui a tres dur et tangible lui est porte. Un projectile vient de tomber sur la 3 eme tourelle dont les toles volent en eclat a plusieurs centaines de metre. Des flammes suivient de fumees. Quand celles ci se sont dissipees, on peut constater que la 3eme tourelle a disparu et que la physionomie du Chaberton a change. Des lors, les tourelles ne tirent plus ou presque. Poursuivant les tirs de destruction, j'ai l'impression d'achever un blesse. A 18H05, un coup tombe pres de la 2eme tourelle, provoquant vraisemblablement une deuxieme de munitions, car une fumee noire bien distincte de celle de l'eclatement apparait reste visible pendant 20 secondes.

 
 

Explosion d'une tourelle (Coll Mathieu)

 
   Vers 18H30 un eclatement majestueux, juste au niveau de la partie de partie superieure du Chaberton comme un immense chapeau qui le coiffe entierement, etrange aureole qui ressemble un peu a celle des martyrs.  A 19 heures, un coup tombe entre les 5eme et 6eme tourelles laissant apparaitre entre elles un amas de pierres et de ferrailles. Quand je recois alors du Colonel Commandant l'A.S.F.D. (Artillerie du Secteur Fortifie du Dauphine) pour la 6eme Batterie, l'ordre de cesser le feu, j'essaie de faire le bilan de cette apres midi. Les 2 sections on tirees a elle deux 57 coups. Le tir a dure 3H30. Les pertes de la 6eme Batterie ont ete rigoureusement nulles. Il n'en est pas de meme en face : une tourelle a disparu : la 3eme, une autre a ete nettement touchee : la 6eme, une autre penche lamentablement la 5eme. N'y a-t-il pas d'autres degats invisibles de nos observatoires ? C'est ce que j'espere sans l'avouer et qui d'ailleurs sera confirme par la suite.

Sans la brume opiniatre qui n'a cesse de se montrer pendant tout l'apres midi, genant considerablement l'observation, 2 heures auraient vraisemblablement suffit seulement a obtenir les memes resultats, mais probablement a mettre hors d'usage les 8 tourelles.

J'esperais etre plus favorise les jours suivants, estimant qu'une heure de visibilite sewrait suffisante pour terminer un travail deja fort avance. Quelqueseclaircies insignifiantes me permettent de tirer 6 coups le 22 Juin au matin. Le 23 Juin quelques observatoires ayant rapporte que 2 tourelles tirent encore, j'envoies a l'aveuglette 14 coups avec les elements du reglage de la veille. J'en tire enfin 24 toujours sans observation le 24 Juin. Quelques instants avant la cessation des hostilites.

En tout 101 coups de 280 ont été tires. Les résultats les plus importants ont été certainement obtenus le premier jour lors du tir observe. Des 57 coups, il est difficile d'apprécier exactement les résultats de l'ensembles des tirs. Je ne crois pas que le résultat généralement admis de 6 tourelles hors d'usage soit exagère (1). Ce résultat doit être attribue a la puissance du matériel, a sa précision remarquable, a l'entraînement du personnel qui l'a servi. Les résultats matériels quoique considérables sont certainement infimes compares a l'effet moral qu'ils ont cause. L'agonie du Chaberton, de ce colosse qui paraissait invincible, n'a-t-elle eu une répercussion légère sur l'issue de la bataille qui se livrait dans le Briançonnais ? C'est ce que l'on peut penser, si l'on en croit les paroles rapportées par les Italiens eux-mêmes : "Quand nous avons vu sauter la 3eme tourelle du Chaberton, nous avons compris que nous ne passerions pas".

Le Lieutenant Miguet
Commandant la 6eme Batterie du 154 RAP
Signe : Miguet
Copie certifie conforme
Le Lieutenant Colonel Brasset
Commandant le sous secteur Haute Durance et Ceyrverette et gouverneur de Briançon

 

 
(1) : Ce chiffre a été confirmé par la Commission d'Armistice italienne colonel Quercia, d'après laquelle il y aurait eu 6 tourelles hors d'usage dont 4 irréparables.

 

 

 

 

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