"Canonnier, avec
le poste d’Artificier, j’appartenais à la ( ? ème) batterie du 93ème
R.A.M.
Après un stage d’un mois au Camp de
Belley (01), notre batterie arrive à Plampinet (05) fin Mars-début Avril,
pour relever une batterie allant en repos.
Notre batterie était composée uniquement
d’anciens maquisards de l’Ain, du Rhône et de l’Isère, dont la plupart
était sur le front du Queyras en décembre 1944, à la 4ème Division Alpine
en tant que fantassins alpins.
Trois canons de 75 étaient positionnés
le long de la rivière La Clarée à 1 km environ au sud du village, le 4ème
dans la cour du Fort de l’Olive, culminant à 2500 m environ.
Chacune des équipes de «servants» d’une
pièce passait 8 à 10 jours au Fort.
L’équipe à laquelle j’appartenais prit
la direction du Fort vers le 25/04/45 par le seul sentier praticable
depuis Plampinet avec dans notre sac à dos, en plus du barda habituel, un
obus de 75 (9 kg), une boule de pain et un flasque de 2 litres de vin.
Je pense que nous avons mis plus de 2
heures pour rejoindre notre nouveau poste et relever l’équipe précédente
qui redescendit au village.
Les canons du Fort, comme ceux de la
vallée étaient pointés vers l’Aiguille Rouge (1), occupée par les
Allemands. Notre activité au Fort était limitée par la pauvreté de notre
stock d’obus. Les canons de la vallée tiraient bien d'avantage
pour épauler nos fantassins dans la région de Névache.
Un après midi, un commandant fit une visite
d’inspection. Alors que nous étions en position repos près de notre canon
et qu’il nous prodiguait quelques paroles, un fort sifflement se fit
entendre au-dessus de nos têtes. Couchez vous commanda-t-il. Remis debout,
il nous déclara : « je connais bien ce bruit, c’est un obus de 77
allemand » et nous conseilla de rejoindre l’abri le plus sûr.Un quart
d’heure plus tard, il prenait le chemin du retour.
Quarante à cinquante minutes après ce
sifflement, un second se fit entendre, et ainsi de suite jusqu’à la tombée
de la nuit.
Ces obus devaient finir leur course dans
le grand abîme à l’Ouest du Fort et peut-être ne pas éclater car nous
n’avons entendu aucune explosion.
Le lendemain matin, les sifflements
recommencèrent avec les mêmes intervalles et les mêmes résultats.
L’aprés- midi, après le repas au
réfectoire, nous décidâmes de faire une partie de cartes. La pièce nous
servant de réfectoire, attenait au mur d’enceinte côté sud, d’où l’on
écoutait toujours passer les obus.
Entre 15 et 16 heures il n’y eut pas de
sifflements mais un puissant souffle continu et deux brouettes de roche
concassée pénétrèrent dans la pièce par deux meurtrières.
Le calme revenu et l’émotion passée,
nous découvrîmes en ouvrant les volets de tôle, à 8/10 mètres du mur
d’enceinte, un énorme trou de 7 à 8 mètres de diamètre et de 5 mètres de
profondeur environ.
L’obus qui venait d’éclater provenait
d’un obusier allemand de 420 mm (2), positionné le long de la route, entre
Clavière et Césana-Torinese en Italie (que nous avons retrouvé saboté lors
de notre entrée en Italie).
Il n’y eut pas d’autres passages ni
d’autres obus qui tombèrent sur le Fort.
Les Allemands aux abois par la déroute
de leurs troupes sur le front de l’Est venaient de liquider leur stock
d’obus de 420 (poids 920 kg pièce) avant de saboter la tourelle qui
supportait l’obusier et de se replier sur leur pays.
Un jour ou deux plus tard, notre
batterie regroupée, fit son entrée à Clavière où nous nous trouvions le
jour de la capitulation nazie.
Le canon du Fort fût démonté et descendu
à l’aide d’une chenillette-bac américaine, sans doute par le sentier
aboutissant à Val des Prés.
Quelques jours plus tard, nous quittions
Clavière pour Césana-Torinese, puis Sauce [Sauze] d’Oulx et enfin
Sestrière. Notre batterie quitta l’Italie au cours de la 1ére décade de
juin 1945 pour cantonner en repos à Séchilienne, près de Grenoble.
Notre batterie n’avait pas de Capitaine
mais un Lieutenant, que nous connaissions sous le nom de « Martel »
(peut-être son surnom de maquisard).
Notre chef de pièce était le Maréchal
des Logis Ruy, originaire de l’Ain. Chaque pièce avait 8 ou 9 servants :
« Noël Biésuz 21 ans, Aimé Gauchon 19 ans et moi-même, Pierre Seytre 19
ans, tous trois habitants St Clair du Rhône (38) entre Vienne et
Roussillon, appartenions à cette pièce dont j’ai oublié le numéro d’ordre
ainsi que le nom des autres servants.
La nourriture au fort était assez
simple, faite de provisions américaines (sans doute stockées avant les
rigueurs de l’hiver), boites de « corned-beef », de pâté de foie, de
macédoine de légumes qui s’appelait ou que l’on appelait « beans » et qui
donnait le scorbut. |