Cannonier au Fort de l'Olive : Printemps 1945

 

Texte de Monsieur Pierre SEYTRE ecrit en Juillet 2001. Ancien du 93ème Regiment d’Artillerie de Montagne (R.A.M.) en poste au fort de l’Olive au Printemps 1945. Il raconte dans ce texte la vie de tous les jours du fort et l’episode du bombardement du fort par l’artillerie allemande qui a failli mal se finir pour lui et ses camarades.

Je tiens ici a le remercier de bien avoir voulu partager ses souvenirs et de faire revivre un instant le Fort de l’Olive par les photos d’epoque communiquees ainsi que par sa prose. Un grand merci aussi a son gendre Mr XXX qui a pris contact avec moi et m’a transmis ce texte par le biais d’internet (quand l’histoire rencontre le web…).

"Canonnier, avec le poste d’Artificier, j’appartenais à la ( ? ème) batterie du 93ème R.A.M.

Après un stage d’un mois au Camp de Belley (01), notre batterie arrive à Plampinet (05) fin Mars-début Avril, pour relever une batterie allant en repos.

Notre batterie était composée uniquement d’anciens maquisards de l’Ain, du Rhône et de l’Isère, dont la plupart était sur le front du Queyras en décembre 1944, à la 4ème Division Alpine en tant que fantassins alpins.

Trois canons de 75 étaient positionnés le long de la rivière La Clarée à 1 km environ au sud du village, le 4ème dans la cour du Fort de l’Olive, culminant à 2500 m environ.

Chacune des équipes de «servants» d’une pièce passait 8 à 10 jours au Fort.

L’équipe à laquelle j’appartenais prit la direction du Fort vers le 25/04/45 par le seul sentier praticable depuis Plampinet avec dans notre sac à dos, en plus du barda habituel, un obus de 75 (9 kg), une boule de pain et un flasque de 2 litres de vin.

Je pense que nous avons mis plus de 2 heures pour rejoindre notre nouveau poste et relever l’équipe précédente qui redescendit au village.

Les canons du Fort, comme ceux de la vallée étaient pointés vers l’Aiguille Rouge (1), occupée par les Allemands. Notre activité au Fort était limitée par la pauvreté de notre stock d’obus. Les canons de la vallée tiraient bien d'avantage pour épauler nos fantassins dans la région de Névache.

Un après midi, un commandant fit une visite d’inspection. Alors que nous étions en position repos près de notre canon et qu’il nous prodiguait quelques paroles, un fort sifflement se fit entendre au-dessus de nos têtes. Couchez vous commanda-t-il. Remis debout, il nous déclara : « je connais bien ce bruit, c’est un obus de 77 allemand » et nous conseilla de rejoindre l’abri le plus sûr.Un quart d’heure plus tard, il prenait le chemin du retour.

Quarante à cinquante minutes après ce sifflement, un second se fit entendre, et ainsi de suite jusqu’à la tombée de la nuit.

Ces obus devaient finir leur course dans le grand abîme à l’Ouest du Fort et peut-être ne pas éclater car nous n’avons entendu aucune explosion.

Le lendemain matin, les sifflements recommencèrent avec les mêmes intervalles et les mêmes résultats.

L’aprés- midi, après le repas au réfectoire, nous décidâmes de faire une partie de cartes. La pièce nous servant de réfectoire, attenait au mur d’enceinte côté sud, d’où l’on écoutait toujours passer les obus.

Entre 15 et 16 heures il n’y eut pas de sifflements mais un puissant souffle continu et deux brouettes de roche concassée pénétrèrent dans la pièce par deux meurtrières.

Le calme revenu et l’émotion passée, nous découvrîmes en ouvrant les volets de tôle, à 8/10 mètres du mur d’enceinte, un énorme trou de 7 à 8 mètres de diamètre et de 5 mètres de profondeur environ.

L’obus qui venait d’éclater provenait d’un obusier allemand de 420 mm (2), positionné le long de la route, entre Clavière et Césana-Torinese en Italie (que nous avons retrouvé saboté lors de notre entrée en Italie).

Il n’y eut pas d’autres passages ni d’autres obus qui tombèrent sur le Fort.

Les Allemands aux abois par la déroute de leurs troupes sur le front de l’Est venaient de liquider leur stock d’obus de 420 (poids 920 kg pièce) avant de saboter la tourelle qui supportait l’obusier et de se replier sur leur pays.

Un jour ou deux plus tard, notre batterie regroupée, fit son entrée à Clavière où nous nous trouvions le jour de la capitulation nazie.

Le canon du Fort fût démonté et descendu à l’aide d’une chenillette-bac américaine, sans doute par le sentier aboutissant à Val des Prés.

Quelques jours plus tard, nous quittions Clavière pour Césana-Torinese, puis Sauce [Sauze] d’Oulx et enfin Sestrière. Notre batterie quitta l’Italie au cours de la 1ére décade de juin 1945 pour cantonner en repos à Séchilienne, près de Grenoble.

Notre batterie n’avait pas de Capitaine mais un Lieutenant, que nous connaissions sous le nom de « Martel » (peut-être son surnom de maquisard).

Notre chef de pièce était le Maréchal des Logis Ruy, originaire de l’Ain. Chaque pièce avait 8 ou 9 servants : « Noël Biésuz 21 ans, Aimé Gauchon 19 ans et moi-même, Pierre Seytre 19 ans, tous trois habitants St Clair du Rhône (38) entre Vienne et Roussillon, appartenions à cette pièce dont j’ai oublié le numéro d’ordre ainsi que le nom des autres servants.

La nourriture au fort était assez simple, faite de provisions américaines (sans doute stockées avant les rigueurs de l’hiver), boites de « corned-beef », de pâté de foie, de macédoine de légumes qui s’appelait ou que l’on appelait « beans » et qui donnait le scorbut.

L’un des 3 canons de 75, positionne au sud de Plampinet, le long de la Claree, avec quelques uns des ses servants. Simulation de tir pour la photo. De droite a gauche. Le tireur (surnom Bellieux), le regleur d’inclinaison d’angle de tir (selon instruction du PC), le Chargeur, l’artificier (une douille d’obus de 75 en main) et le chef de piece commandant le tir (Coll. Pierre Seytre).

Simulation de defense d’une passerelle sur la Claree a proximite des 3 canons (Coll. Pierre Seytre).

Quelques minutes apres l’eclatement de l’obus de 420 mm, sur le fort de l’Olive les premiers jours de mai 1945 [plutot mi-Avril], vu depuis le village de Plampinet (Coll. Pierre Seytre).

L’obusier allemand de 420 (Coll. Pierre Seytre)

De retour en France, Grenoble Juin 1945. De gauche a droite : Noel BIESUZ, Pierre SEYTRE et Aime GAUCHON (Coll. Pierre Seytre).

 

Je ne me souviens pas si l’on mangeait des pâtes, des pois cassés ou pois chiches (menu habituel) mais les tartines de margarine sur des biscuits américains étaient notre dessert.

En recherchant dans ma mémoire, je situe le séjour de notre batterie au Fort, approximativement du 25 avril au 3 ou 4 mai 1945. L’ensemble de la batterie se trouvait à Clavière depuis quelques jours lorsque l’on appris la capitulation allemande le 8 mai 1945.

Je suis très satisfait d’avoir revu le Fort de l’Olive, déçu de le trouver dans un tel état, déçu aussi de ne pas retrouver le trou de l’obus qui a failli nous tuer.

J’étais perturbé, je voulais tout revoir en même temps, j’ai tourné pendant une heure d’un mur à l’autre, les souvenirs entremêlés dans ma tête.

Nous avons profité d’une journée splendide, pas le moindre nuage, découvert un environnement unique et je reconnais n’avoir pas profité de la beauté du paysage lors de mon séjour en 1945, il est vrai que nous n’étions pas là en touriste.

Si ma santé me le permet, j’y retournerai…"

Recit de Pierre SEYTRE (Juillet 2001)

Notes :

(1) : Au cours de ce recit, il est fait mention de l’Aiguille Rouge (Guglia Rossa en Italien), qui est effectivement tenu par un groupe de combat (100 GJR) et des observateurs d’artillerie allemands a compter de fevrier 1945 (Beraud, Alpes Ubaye, Queyras p 168). Ce promontoire est une menace pour les francais car de part sa position privilegiee, l’Aiguille surplombe toute la vallee de Nevache et le dispositif francais. Les Allemands pris pour cible par l’artillerie francaise auraient construit, selon le Colonel Beraud, une caverne sur le versant nord de l’Aiguille a l’abri des tirs. Une visite sur le terrain n’a pas permis de retrouver cette caverne et le seul amenagement visible un peu en contrebas de la Croix sommitale est une sorte de replate en pierres concassees. Je suis a la recherche de tout renseignement infirmant ou confirmant l’affirmation du Colonel Beraud.

(2) : En ce qui concerne, la piece de marine de 420 mm de marine allemande de Cesana qui epargna les artilleurs du 93 RAM, eu malheureusement plus de reussite le 5 Avril au Gondran C puisqu’elle causa 6 blesses graves et 20 blesses legers chez les alpins du 99 RIA.

 

 

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